Blog d'information, d'observation, de réflexion et d'analyse en matière d'audit, du droit des entreprises, de fraudes économiques et financières Etant précisé que les textes applicables et professionnels concernés demeurent en toute hypothèse les sources privilégiées d'information et les intervenants référents. Jean Sliwa
14 Avril 2016
Panama Papers : ce qu'il révèle aussi
Outre les aspects frauduleux, moraux, de répartition de la valeur ajoutée, et autres, ce que révèle aussi Panama Papers, c’est que toutes les motivations possibles et le professionnalisme des auditeurs, contrôleurs, enquêteurs ne peuvent compenser l'existence des limites objectives que comportent leurs interventions et le système de contrôle dans sa globalité.
On ne peut donc s'étonner de la survenance de crises et de sandales financiers, politico-financiers, de certaines fraudes, comme celle des subprimes, des ententes, des fuites illégales de capitaux, du blanchiment, par exemple, et que les contrôles pourtant nombreux et multiples et les auditeurs et vérificateurs n'aient rien révélé de ces affaires qui font régulièrement la une de l’actualité.
Quelles sont donc ces limites s'agissant notamment des audits et des vérifications comptables, à titre général ?
Celles-ci résident sur le seul plan comptable dans le fait que :
1 - la masse des informations comptables et des opérations est telle qu’elles ne peuvent être appréhendées de manière exhaustive et toutes contrôlées ; de fait, les audits et contrôles sont toujours sélectifs, avec les risques que cette sélection comporte ;
Comme le mentionne la Compagnie des commissaires aux comptes sur son site internet http://www.cncc.fr/ : «Ces contrôles sont faits par sondages, en fonction de son évaluation des systèmes comptables de l'entreprise. Le commissaire aux comptes a une obligation de moyens, non de résultat. Il n'a donc pas à vérifier toutes les opérations ni à rechercher systématiquement toutes les erreurs et irrégularités que les comptes pourraient contenir. Son objectif est d'obtenir l'assurance raisonnable qu'aucune anomalie significative ne figure dans les comptes».
2 - les imputations opérées par les comptables sont parfois inexactes, par suite d'erreurs, toujours possibles, de factures illisibles, incomplètes, incorrectement rédigées, .... Certaines règles de comptabilisation et fiscales peuvent également être interprétées ;
3 – certaines opérations ne sont pas facturées. On peut citer à titre d'exemple les livraisons gratuites et prises en charge de frais, de services non répercutés par exemple par les maisons mères à leurs filiales, les opérations qui ne sont pas volontairement comptabilisées tandis que d’autres qui figurent normalement dans l'annexe sont réalisés hors bilan ; Ou le sont légalement en d’autres lieux et moments qui échappent aux auditeurs et contrôleurs nationaux qui ne peuvent en vérifier la traçabilité et la sincérité ;
4 - la comptabilité ne permet pas, enfin, par elle-même et à elle seule, sans un examen approfondi des justificatifs et des conditions de réalisation des opérations enregistrées, des contrôles chez les tiers (fournisseurs et clients), sans des entretiens, des auditions de tiers, des visites d'usine, voire des perquisitions, des filatures, sans disposer d’un renseignement, d’un élément d’information, etc., de s'assurer de la sincérité de certains enregistrements comptables, d’autant plus quand ceux-ci se rapportent à des transferts financiers vers des sociétés opaques, peu transparentes ou en tout cas suspectes ;
5 – elle ne reprend pas bien évidemment les opérations qui n’ont pas donné lieu à facturation et à enregistrement réalisées parfois à titre personnel par un dirigeant, un employé, …, qui ne souhaitent pas qu’on en retrouve la trace.
Deuxième aspect de ces limites relatives : la nature des interventions des auditeurs, vérificateurs et enquêteurs. En ce domaine, il convient de considérer, que :
Par opposition, les fraudeurs disposent de facilitations et de facilités qui échappent à tout encadrement, aux aléas, aux vices de procédure, aux contingences de frontières, de délais, aux prescriptions, aux contraintes juridiques, hiérarchiques, etc., que connaissent les auditeurs et vérificateurs, et des moyens de décider des actions pouvant être entreprises dans des délais très courts, à l’échelle internationale, sur un simple appel téléphonique, clic ou mail.
Troisième thème qui prêtre à réflexion dans ce domaine de la pérennisation des crises, des scandales, …: les sanctions infligées suite aux contrôles et aux constatations.
Lesquelles peuvent apparaître comme étant parfois insuffisantes, peu adaptées, non dissuasives, ne pas toucher leurs cibles, les véritables auteurs et responsables, ou appliquées dans des conditions dérogatoires - légales - du droit commun.
Prenons pour premier exemple le cas des pénalités souvent très lourdes infligées en cas d’entente anticoncurrentielle. Ce qui devrait dissuader les entreprises tentées de passer à l’acte. Hors, il n’en est rien, ou en tous cas pas comme souhaité, ce dont témoignent les affaires qui sont régulièrement révélées par la Commission européenne et par l’Autorité de la concurrence, laissant accroire que finalement, le jeu en vaut la chandelle. Le fait que les amendes soient supportées par la personne morale moyennant la souscription d’une transaction sans que, le plus souvent, les dirigeants soient poursuivis pénalement, semble aussi aller dans ce sens. Qu’en serait-il s’il en était autrement, si ces dirigeants agissant en cette qualité ou comme auteur risquaient d’être licenciés et condamnés à des amendes et à des peines d’emprisonnement ?
Comme par exemple tout comptable public convaincu suite à un contrôle comptable hiérarchique ou de la Cour des comptes de détournement de fonds publics qui encourt, lui, une triple peine, à savoir un licenciement, sans retour possible faute de pouvoir se représenter à un concours, le remboursement des fonds détournés et une peine d’emprisonnement. Et bien entendu l’opprobre populaire pour lui et ses proches et quelques difficultés à retrouver un emploi.
La réponse figure sans doute dans la question.
Dans le second domaine pris pour illustrer le propos précédent, les affaires impliquant des partis politiques, il est rare que le parti lui-même et/ou son président ou secrétaire général soient poursuivis faute de preuve de leur implication personnelle. Généralement, les sanctions sont appliquées à leur gestionnaire et aux trésoriers, qui, s’ils sont également élus, risquent l’inéligibilité durant une année, voire deux, comme ce fut le cas dans les années quatre-vingt/quatre-vingt-dix pour deux trésoriers des plus grands partis. De retour aux affaires, ces gestionnaires/trésoriers sont généralement de nouveau intronisés par leur parti puis rapidement élus, démontrant ainsi que les électeurs ne leur tiennent pas griefs des faits pour lesquels ils ont été condamnés. Quant au parti, il est sanctionné à hauteur des fonds publics dont il est privé quand il ne respecte pas les règles de financement des campagnes, sans que pour autant, il soit, pour les actes répréhensibles, poursuivi. Un parti politique ne peut en outre être dissous pour avoir commis un délit réprimé dans les conditions prévues par l’article 131-39 du code pénal, comme d’ailleurs les organisations représentatives du personnel.
Ce qui accrédite la thèse que finalement le jeu en valait aussi la chandelle, du point de vue pénal en tout cas. Sachant que les faits de financement public frauduleux sont toujours commis directement ou indirectement à l’avantage des candidats (pour être élu et par conséquent être rémunéré sur fond public) ou du parti (qui finance aussi leur campagne). Et qui est lui-même financé sur fonds publics (et par les cotisations de ses membres) à hauteur du nombre d’élus obtenu.
Ce que l’on constate, c’est qu’un grand nombre d’affaires, de scandales qui défrayent la chronique sont dévoilés suite à des informations reçues de personnes impliquées ou concernées à différents niveaux, certaines dénonciations étant favorisées (cas du système de clémence géré par l’Autorité de la concurrence), de lanceurs d’alertes, suite à des circonstances particulières (une faillite, un divorce), à un grain de sable (un enregistrement téléphonique, un mail communiqué par erreur) et grâce aux moyens et droits dont disposent les journalistes d’investigation (la caméra cachée, les informateurs, les investigations sur place, à l’étranger, en continu, l’absence de cadre de contrôle hormis les règles déontologiques professionnelles, le droit à l’information du public).
Avec les effets défavorables sur l’opinion que la publication de noms de personnes et de sociétés qui n’ont pas forcément enfreint les règles en la matière peut comporter, étant précisé qu’il n’est pas interdit de détenir un compte et des avoirs à l’étranger, y compris dans des paradis fiscaux - de pays tiers ou de l’Union européenne - dès lors qu’ils sont déclarés aux impôts. Ce qui est parfois le cas, selon les intéressés.