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Blog d'information, d'observation, de réflexion et d'analyse en matière d'audit, du droit des entreprises, de fraudes économiques et financières Etant précisé que les textes applicables et professionnels concernés demeurent en toute hypothèse les sources privilégiées d'information et les intervenants référents. Jean Sliwa

Audit, contrôles et fraudes financières et économiques. Droit des entreprises

Fausses factures et fraudes comptables

S'agissant des fraudes dites en col blanc susceptibles d'être commises par les entités objets d'audit et de contrôle interne, un constat s'impose : hormis le cas des opérations sans facture, des paiements en espèce, ces fraudes sont en principe commises en utilisant :

1 - l'entité et l'enregistrement comptable comme moyens et supports de leur réalisation ;

2 - des justificatifs conformes ou plus vrais que nature. Appliquant en cela le point de vue du financier et économiste américain Jean-Paul Laffitte, qui disait avec humour que « la comptabilité est la pince-monseigneur des sociétés anonymes ».

Prenons en exemple les fraudes commises au moyen de contrats d'embauche (emplois fictifs), de fausses factures (ventes, prestations fictives,...), d'études bidon (transferts de fonds). Celles-ci font l'objet de deux enregistrements comptables comportant la constatation de la dette puis du paiement des sommes dues (redevances, salaires, commissions, honoraires, jetons de présence,...) à leurs bénéficiaires : le premier (la constatation de la dette) supposant une obligation d'apurement par le deuxième (le paiement). Lesquels authentifient la réalité et la légalité de l'opération (principe comptable de sincérité), par opposition à celles qui ne le sont pas (vente sans facture).

Ces fraudes consistent et/ou aboutissent en fait généralement à faire supporter par l'entité des charges qui ne lui incombent pas ou pas dans ces proportions ni dans ces conditions et/ou à lui attribuer des biens corporels et incorporels (immobiliers, mobiliers, brevets,...) indûment, survalorisés, etc. L'entité et la comptabilité constituent le réceptacle et le point de convergence et de passage obligé des opérations, des écritures, de redistribution des fonds. Pour conserver le secret des affaires, des entités aux dénominations communément évocatrices sont parfois créées et/ou utilisées à cet effet : Sociétés fictives, sociétés coquilles, sociétés écran, boite aux lettres ; ces entités ainsi que les moyens employés (compensations comptables, fractionnement des opérations, des transferts, allongement des circuits, allers et retours des fonds, intervention d'intermédiaires, caisses noires, utilisation de paradis fiscaux,...) contribuent activement en tant que tels à brouiller les pistes, favorisent l'opacité des opérations et les rendent plus difficiles à retrouver. Ces sociétés qu'il est difficile de définir juridiquement jouent un rôle majeur en matière de secret des affaires, dans le fonctionnement de notre économie, dont la législation s'efforce précisément d'accroître la transparence. Dans son rapport annuel 2004, le SCPC qui s'y est efforcé, décrit la société écran comme suit «La société écran existe dès lors qu'il est possible de constater une utilisation dévoyée de la personnalité morale. Cette perversion consiste à créer une situation apparente non conforme à la réalité juridique et/ou de à mettre en œuvre la personnalité morale dans un but qu'elle n'est pas destinée à satisfaire ».

Quant à la caisse noire, elle est pour le SCPC, comme indiqué dans son rapport 2006 « endémique, multiforme, évolutive ; elle démontre l’inventivité de ses organisateurs car elle conjugue inévitablement trois opérations concernant les fonds frauduleux :

  • la sortie de fonds elle-même qui résulte de fraudes comptables, pénales et fiscales ;
  • la détention des fonds non officiels ;
  • les paiements non officiels, utilisés pour la corruption et pour les besoins personnels de son initiateur.

Tenter de faire un lien entre un montage frauduleux qui sera identifié localement et le marché ou l’opération d’achat concernée restera possible, comme le démontrent les développements précédents. En revanche, apporter la preuve du paiement est particulièrement difficile, a fortiori lorsque le bénéficiaire a rendu la gestion opaque. En effet, il devient impossible de distinguer les entrées des sorties. De plus, les paradis fiscaux ajoutent encore à la confusion car pour ces derniers, il est quasiment impossible de reconstituer la chronologie des apports et de leurs provenances et même de les isoler. Ainsi il n’est plus possible d’apporter la preuve de la manipulation... » ; « La caisse noire est le réceptacle, matériel ou virtuel, de l’ensemble des entrées et des sorties de fonds qui ne transitent pas par la comptabilité. Elle sera alimentée, sans qu’ils n’apparaissent, par divers moyens, le résultat de ventes non déclarées ou le résultat de fraudes mises en place pour récupérer des espèces ».

Comme le rapporte également la commissaire divisionnaire, spécialiste des enquêtes financières, Brigitte Henri, dans Au cœur de la corruption, en 2000, les caisses noires sont indispensables à certains montages, aux virements de fonds « L'entreprise a besoin de se constituer une caisse noire pour recevoir et répartir les commissions occultes. Dans sa forme la plus sophistiquée, cette caisse noire est gérée au travers de comptes bancaires dont certains se trouvent dans des paradis fiscaux. L'entreprise fait appel à des sociétés fiduciaires pour gérer ces comptes étrangers».

Les montages comptables, d'altération des comptes, à l'origine de scandales financiers d'envergure, contrairement à une idée répandue, ne relèvent pas toujours de hautes stratégies sophistiquées. Ce que rapporte Joseph E. Stiglitz, dans Quand le capitalisme perd la tête : «L’astuce comptable d’Enron consistait, lorsqu’il avait, disons, une vente de gaz à livrer l’année suivant à porter la valeur de cette vente à ses revenus immédiats, mais sans inscrire la dépense qui allait être nécessaire pour acheter ce gaz au préalable. De revenus sans aucun coût engendrent d’immenses profits ! Certes, Enron finirait bien par devoir inscrire la dépense. Mais, tant que la firme était en croissance, elle pouvait continuellement grossir ses revenus par moyen puisque, chaque année, les ventes dépassaient les achats. C’était un système de Ponzi classique comme la chaîne de lettres d’autrefois ». Le système de Ponzi, de la boule de neige (les placements des entrants payent les intérêts des premiers arrivés), a été aussi utilisé dans le scandale Madoff.

Autre technique élaborée et simplissime à la fois, celle de l'avoir, qui consiste, par exemple, pour une association subventionnée pour des achats d'ordinateurs à hauteur de 75% à présenter une facture de 100 000€, majorée préalablement de 25 000€ qui fera ensuite l'objet par le fournisseur d'un avoir égal au montant de la majoration (rapport annuel 1998-1999 du SCPC).

A titre anecdotique, on peut aussi citer la manipulation relatée dans le roman humoristique et satirique Un américain en Picardie, de Ted Stanger (publié aux éditions Folio), qui a consisté pour le comptable chargé de la paye à utiliser le taux de conversion du franc en euro, de 6,055957, au lieu de 6,55957, pour calculer (et majorer) les salaires versés aux employés d'une PME.

D'autres montages sont parfois plus élaborés, comme le mentionne le 25 février 2010 le site http://www.romandie.com/ « Le groupe de télécommunications Fastweb, dont l'actionnaire principal est avec 82% l'opérateur Swisscom, et Telecom Italia Sparkle ont, par un jeu d'écritures comptables compliquées, facturé des montants importants, au total environ 1,8 milliard d'euros, de services téléphoniques et internet jamais effectués auprès de sociétés étrangères de complaisance, fraudant de cette manière le fisc pour un montant de 365 millions d'euros, a indiqué mardi le parquet de Rome en charge de l'enquête ».

Des montages et mécanismes de fraude comptables que l'on retrouve par exemple dans le rapport annuel 2006 du SCPC. Dans ses principes, la finalité est la même : utiliser les factures et la comptabilité, base d'établissement des déclarations fiscales pour frauder.

Sur-amortissement, imputation en compte de charges au lieu d'amortissement, sur-provisionnement ou sous-provisionnement (technique du coussinage), transferts provisoires de stocks, anticipation ou report de prise en compte de charges ou en produits, de nombreux moyens sont utilisés pour embellir les comptes, lisser les résultats, dans des conditions qui s'apparentent parfois à des pratiques, plutôt qu'à des fraudes proprement dites, compte tenu de leur caractère quelque peu subjectif (provisions).

Extrait de L'audit, les contrôles internes et les fraudes : Les fondamentaux, des méthodes et des techniques détaillées, des outils et des références multiple, publié aux éditions Emerit Publishing, en 2011

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